Article : Le Faitout, ustensile de la démocratie alimentaire
Bellebouffe contribue à la revue “Cahier du Développement Social Urbain”
Bellebouffe a contribué au numéro de juillet 2024 des Cahiers du Développement Social Urbain du centre de ressources Labo Cités. Intitulé "Manger mieux dans les quartiers : les coopérations font recette", ce numéro apporte des clés de compréhension sur les enjeux des inégalités alimentaires dans les quartiers. Au fil des pages, chercheureuses, élu•es locaux, associations de quartier, agent•es de l’État et des collectivités, réseaux régionaux et autres collectifs croisent leurs analyses, livrent leurs points de vue et présentent leurs expériences avec une ambition commune : inciter les professionnel•les de la politique de la ville à prendre part aux coopérations à l’œuvre sur leur territoire et contribuer à lever les freins à l’accès à une alimentation de qualité.
On vous partage notre article dans la partie suivante 👇
Le Faitout, ustensile de la démocratie alimentaire
De plus en plus de tiers-lieux voient le jour en France. En 2023, l’Observatoire des tiers-lieux en recense 3 500 sur le territoire national. Au début des années 2010, ils étaient principalement des espaces de travail partagés, des lieux d’expérimentation et/ou de médiation numérique. Aujourd’hui, ces lieux prennent des formes variées et portent des enjeux très divers. Un certain nombre ont pour fonction de remettre en question le système alimentaire dominant.
Les tiers-lieux sont caractérisés par un ancrage territorial fort, une hybridité dans les activités proposées et les publics touchés, leur capacité à « faire-ensemble » et à produire une transformation sociale. Ce ne sont pas uniquement des espaces physiques, ils sont à envisager comme des configurations sociales pour « faire tiers-lieu ». C’est-à-dire qu’ils permettent à des personnes et à des entités de résoudre ensemble et intentionnellement des problématiques à travers la construction d’un langage commun (Burret, 2015).
« Faire tiers-lieu », pas sans les habitant·e·s
Depuis l’arrivée du métro à Oullins en 2013, le quartier de la Saulaie retrouve peu à peu l’attractivité qui le caractérisait avant le départ des ateliers SNCF. Malgré cette tendance, l’offre alimentaire n’est guère quantitative et diversifiée, obligeant les habitant·e·s, dont près de 46 % vivent en-dessous du seuil de pauvreté, à parcourir de nombreux kilomètres pour se procurer à manger. Par ailleurs, sur le territoire peu d’espaces favorisent la rencontre et la création de liens.
Au printemps 2021, Bellebouffe et Singa Lyon prennent connaissance de l’ancienne cantine de cheminots, à l’abandon depuis deux ans. Située à la Saulaie et à cheval entre les communes de La Mulatière et Oullins-Pierre-Bénite, ce patrimoine singulier semble idéal du fait de son histoire, sa localité, sa surface, pour accueillir un lieu solidaire tourné vers l’alimentation et la rencontre. Bellebouffe et Singa Lyon prennent le parti de lancer une dynamique territoriale pour embarquer largement dans la coconstruction du projet centres sociaux, collectivités locales, associations de quartier, acteurs de l’urgence et de l’action sociales et habitant·e·s. « Faire tiers-lieu » s’est traduit par un travail de proximité, des démarches d’aller-vers et des alliances locales.
En investissant l’espace public et en menant des actions en pied d’immeuble, cette approche a permis de donner la voix aux habitant·e·s en partant de leurs expériences et de leurs relations au quartier. Plus de 200 personnes ont été impliquées dans la coconstruction du Faitout, en contribuant au diagnostic du paysage alimentaire et à l’émergence des solutions qui leur sont dédiées. Dans le même temps, sept ateliers en intelligence collective et une vingtaine de rencontres individuelles avec des acteurs locaux ont été menés. Ces temps de travail ont contribué à définir collectivement les usages du lieu et à imaginer les synergies pour lutter contre les inégalités à l’œuvre.
La phase de diagnostic et d’émergence du projet a favorisé la constitution d’un langage commun et a conforté la nécessité d’agir à la réduction des inégalités en travaillant :
à la transformation du paysage alimentaire du quartier ;
à l’évolution des pratiques alimentaires aux regards des enjeux de durabilité et dans une perspective de justice et de démocratie alimentaires permettant la réappropriation de son alimentation ;
au renforcement des liens sociaux de proximité, d’entraide et favorisant l’action collective ;
à l’inclusion socioprofessionnelle par le biais de l’alimentation durable.
Hospitalité et justice alimentaire
Le Faitout a ouvert ses portes au printemps 2023. Son action repose sur les quatre piliers que sont l’écologie, la justice sociale, l’inclusivité et la convivialité. Le tiers-lieu se structure autour de trois pôles d’activités : le café-cantine associatif, écologique, solidaire et d’inclusion socioprofessionnelle ; la mutualisation de ressources (cuisine pédagogique, espace de travail partagé dédié à l’économie sociale et solidaire, espaces de convivialité garantissant un accueil universel) ; l’hébergement d’activités socioculturelles créatrices de lien social et d’activités favorisant un droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous.
Ouverte le midi, la cantine propose des repas réalisés à partir de produits issus d’une agriculture équitable, biologique, de saison, en circuits courts et circuits de proximité. Solidaire, la cantine propose une triple tarification pour garantir son accès au plus grand nombre grâce à un système de tiers-financement citoyen qui soutient les repas des plus précaires. Tremplin, elle accueille des personnes éloignées de l’emploi pour leur permettre, par un accompagnement personnalisé, de découvrir de manière inclusive les métiers de la cuisine et du service. En 2023, 200 repas solidaires ont été financés et sept personnes ont été accompagnées dans la découverte des métiers de la restauration. À partir de l’été 2024, le programme « Tremplin » s’étoffe pour accueillir des chef·fe·s exilé·e·s en résidence les soirs afin de leur permettre d’expérimenter leurs projets de restauration en conditions réelles.
Depuis septembre 2023, le Faitout héberge aussi un groupement d’achats VRAC pour favoriser l’accès à des denrées de qualité, basé sur un fonctionnement autonome et accompagné par Bellebouffe. En janvier 2024, une tarification a été mise en place sur prescription sociale pour les personnes en situation de grande précarité. Au total, une quarantaine de foyers bénéficient d’un moyen d’approvisionnement durable et accessible avec le groupement d’achats VRAC.
En parallèle, Bellebouffe profite des locaux du Faitout pour déployer son savoir-faire, des activités dédiées à l’alimentation écologique et solidaire, et des démarches de démocratie alimentaire à travers l’animation de collectifs d’habitant·e·s. Une vingtaine de personnes à la Saulaie portent aujourd’hui un projet de création de marché de produits frais, de qualité et à prix accessibles. Mené en partenariat avec l’association VRAC Lyon Métropole, il verra le jour à l’automne 2024.
Les tiers-lieux pour la justice alimentaire
Les tiers-lieux ont un rôle à jouer dans la transition alimentaire. Ce sont des espaces immatériels, symboliques et physiques où peut se penser et se vivre la justice alimentaire grâce au développement d’activités liées à l’approvisionnement, à la distribution, à la transformation et à la consommation en mettant les conditions d’accessibilité, de durabilité et de participation au cœur de leur projet. La dynamique sociale des tiers-lieux de justice alimentaire permet l’expérimentation de nouvelles formes de solidarité capables de répondre concrètement et de manière systémique au droit à l’alimentation durable pour tous et toutes.
Article rédigé par Marie-Amandine Vermillon.
Bibliographie
A.Burret, Tiers-lieux et plus si affinités, FYP, 2015.